Chroniques d’une chercheuse ardente n°3

TOUT EST JUSTE

Chroniques d’une chercheuse ardente… Mais, je cherche quoi, au fait?

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été hors des sentiers battus, ou avec le sentiment d’être étriquée quand j’étais sur des chemins académiques.

A l’âge de 5 ans, je faisais l’école buissonnière pour aller dans le champ, en face de l’école. M’asseoir pour contempler les rouges coquelicots et les nuages. En maternelle, je ne comprenais vraiment pas pourquoi il me fallait rester sur les bancs de l’école pour écouter une maitresse tout sauf bienveillante (qui me mit toute habillée sous la douche froide parce que je ne voulais pas manger mes lentilles à la cantine…Heureusement, le monde de l’éducation a bien changé !), tout comme aller faire pipi quand elle le décidait. Non, je ne comprenais pas pourquoi je devais passer ma Vie dans un lieu irrespectueux de qui j’étais, qui ne m’aidait pas à me déployer. Aller contempler la beauté du monde, ça, me semblait tellement plus nourrissant.
A ce même âge, je m’émerveillais d’apprendre à lire le mot « multicolore ». Tant de poésie avait l’air de se cacher derrière ce mot si délicieux à répéter dans la bouche.
Un peu plus tard, je me souviens d’un rendez-vous chez le médecin à l’âge de 6 ou 7 ans. Il m’avait demandé « comment tu te sens? », et j’avais commencé à lui expliquer, portée par la joie d’avoir enfin un interlocuteur a priori intéressé par le même sujet que moi (le corps) les étonnantes sensations qui me traversaient à cause d’une mauvaise angine. « C’est plutôt froid au fond de la gorge mais plutôt chaud juste devant le froid ». Prenant mes mots pour des lubies, il s’était tourné vers ma mère pour lui demander…comment je me sentais. Je me souviens avoir été choquée qu’on puisse demander à ma mère mon ressenti…à moi !! N’était-ce pas mon propre corps ?! Si j’avais imaginé à l’époque le chemin qui m’attendait ! Que, plus de 40 ans après, je passerai mes journées à dire aux personnes que j’accompagne « Votre ressenti est 100% vrai. Personne ne peut vous contre-dire, c’est votre vérité ». Plonger dans mes ressentis a toujours été une passion.
Les premières graines étaient donc plantées. Evidemment, je ne savais pas que j’en ferai un chemin de vie. Il m’a fallu des tours et des détours pour comprendre et me sentir légitime à le reconnaitre : s’émerveiller de la beauté et de la poésie du monde, plonger en soi comme Voie vers la paix intérieure. « Chaque jour, il faut repartir de la feuille blanche, plonger en soi, se mettre en quête de vérité et de beauté… » dit François Cheung.

Me voilà donc partie à la recherche de beauté et de vérité. Inconsciemment bien sûr. Par mon éducation et mon environnement, il me semblait que développer des compétences intellectuelles et augmenter mes connaissances seraient une réponse à cet appel intérieur, que je ne comprenais pas consciemment mais que je ressentais si fort. J’ai toujours beaucoup lu et cherché des réponses. J’en agaçais mes professeurs. J’en inspirais d’autres par mes questions parfois obsessionnelles. Quand je commençai à danser professionnellement, à 20 ans, c’était portée par la compréhension du placement du corps que je pensais trouver ce que je cherchais. Et quand j’eus cette illumination un jour, sur le quai de la gare, un des ces instants de grâce où la lumière intérieure s’allume, où tout trouve sa place, une fulgurance que tout est juste… Hari om tat sat (1) …Mais pourtant… Je n’écoutais pas à ce moment l’information si précieuse qui m’était donnée : tout est juste ! A chaque instant. Quel que soit le contexte, partout et pour tous. Et la grâce ne s’atteint pas par une volonté ni des kms de connaissance. Elle advient.

Comment placer le corps pour danser avec le plus de grâce possible, puis pratiquer le yoga sans se faire mal, était mon sujet de prédilection (2). Je cherchais le « vrai placement », sans comprendre que d’une certaine façon, je figeais moi-même les choses. Cependant, je glanais sur le chemin des informations précieuses. Les consignes répétées pour réaliser les postures servent bien évidemment, entre autres, à prendre conscience de soi. A ne pas se blesser. Cela sert également à se concentrer et développer cet état nécessaire à la méditation. L’alignement corporel, que l’on tend d’approcher, est identique au charbon, dont l’organisation des molécules est cahotique, et qui devient diamant quand les molécules s’alignent. Merveille de la nature ! La pratique des asanas nous aiderait à passer de l’état de charbon à l’état de diamant. Le diamant, outre sa beauté légendaire, laisse passer la lumière et d’opaque devient transparent. Devenir transparent… Je pense à Krishnamurti, considéré comme un grand maitre spirituel, dont je lisais qu’il devenait transparent à la fin de ses conférences; à un moment, il n’était plus sur scène, et personne ne s’en était aperçu. Il disparaissait, tout simplement. Longtemps avant d’avoir lu ce témoignage, j’avais moi aussi eu envie lors d’une recherche chorégraphique de devenir transparente au moment de ma sortie de scène. C’était une pièce qui parlait du cycle de la vie, et j’étais invitée comme chorégraphe associée. J’étais obsédée par cette idée de devenir transparente comme symbolique de la mort. Plus je cherchais à le matérialiser, plus je devenais…visible…! Ca n’est évidemment pas par volonté que l’on devient transparent ! Car cela serait une décision égotique de devenir énergie divine. Joyeux paradoxe. A cette époque, je ne faisais pas le lien, je pensais juste que ma recherche était vaine, je ne connaissais pas Krishnamurti, je laissais donc tomber ce désir pourtant si vif, que je comprends aujourd’hui ! Devenir transparente et se fondre dans le Tout… Mais je n’en étais pas là, et je choisis finalement de sortir de scène…par un enchainement de sauts et de « battements » (3), ce qui me rendit extrêmement visible, m’offrit de magnifiques congratulations du public…mais pas la paix intérieure, ni la sensation d’avoir « trouvé ».

C’est en groupe continu de Gestalt Thérapie (4) que je vécus un autre moment d’illumination. Un samedi matin. Je venais de passer une semaine à ralentir le rythme de travail car je touchais le début du burn out. Le comble pour une prof de yoga… j’avais donc pris ma semaine pour méditer, et j’arrivais à cette journée de thérapie chargée de cette énergie. Au moment de travailler avec mon thérapeute devant le groupe, je me vis entrer dans l’espace en nommant, sans le décider, tout ce que je faisais. J’étais guidée par une force invisible : « je pose mon cahier », « je marche vers le fauteuil », « je m’assois », « je me redresse ». Et là, subitement, un état plutôt désagréable au début m’envahit. Une sensation entre la nausée et le flottement. Perte de repère spatio-temporel, perte de repère auditif. Et tout à coup, tout s’ouvrit. Tout se mit à sa place. Et je fus prise d’un fou rire inouï qui jaillit du plus profond de moi-même. Je ris, je ris, je ris. Je suis réputée pour mes fous-rires, et peux même faire honte à mes enfants quand ça m’arrive en lieu public ! Mais là, rien de comparable. Un fou-rire de joie inconditionnelle de vie, qui fusa des profondeurs, non convoqué par un stimulus extérieur. La Joie. « Ananda, la Joie, est l’impulsion centrale de la nature humaine » (5). Et suivi ce fou-rire un sentiment d’amour inconditionnel. Je regardais mes compagnons de route du groupe, mon thérapeute, et j’étais envahie d’un amour pur, avec le sentiment qu’il n’y avait plus de frontière entre l’autre et moi, que je faisais partie du Tout, qu’il n’y avait plus rien à chercher. A nouveau… tout était juste, Hari Om tat Sat, avec le goût de l’Amour. Cela dura quelques heures.

Un des préceptes sur la voie du yoga et de la méditation est de ne rien attendre. « Celui qui est attaché aux fruits de l’action, poussé par le désir, est enchaîné. »  (6) Mais comment ne rien attendre quand on a goûté à l’amour inconditionnel? Comment trouver sans agir ce qui a été et qui est advenu sans aucune volonté ?! Quel paradoxe. Ca venait de moi, c’était en moi, je devais bien y avoir accès facilement !! Que nenni, le chemin ne s’arrêtait pas là ! Mon ego était encore tellement puissant que je ne réalisais pas qu’à nouveau, une information précieuse m’était donné : tout est là, en nous. Il n’y a nulle part où aller. « Tout est déjà contenu en vous » nous insuffle Ma Anandamoyi.

Mais qu’est-ce que je cherchais ? Vers où courrais-je, au juste (7) ? C’était pourtant devant mon nez, mais je ne le voyais pas encore. J’avais encore besoin d’avancer sur le chemin de la thérapie. Elle ne m’était pas suffisante, mais la voie spirituelle ne l’était pas non plus. J’avais besoin des 2 : « La psychothérapie guérit l’ego, la spiritualité guérit de l’ego » (8) . Effectivement, je cherchais à guérir mon ego blessé mais derrière tout cela, il y avait autre chose, j’en étais sûre… Le bonheur, évidemment. L’éveil spirituel, évidemment. Mais ces mots avaient comme un goût galvaudé… Je continuais à chercher, à lire, à me former, à travailler sur moi, à me nettoyer. Et je peux dire aujourd’hui que je cherchais à me changer malgré la pensée erronnée que j’étais dans l’accueil inconditionnel de moi-même. Enfin, je faisais comme je pouvais de tout mon coeur, et c’était déjà beaucoup! Pourtant, la Théorie paradoxale du changement d’Arnold Beisser, gestalt thérapeute était un de mes piliers de thérapeute. Cette théorie m’est encore essentielle. « Une personne ne peut pas changer à l’aide d’une tentative coercitive faite sur elle-même ou venant d’une autre personne, mais le changement se produit si cette personne consacre le temps et les efforts requis pour être ce qu’elle est – à être pleinement investies dans ses fonctionnements actuels. »(9) Mais je ne me trouvais toujours pas suffisante.

J’empruntai alors la voie de l’Atma Yoga. L’Atma yoga, ou yoga de l’âme, est très peu transmis en tant que tel. Il est constitué de 2 branches : le bakthi yoga (yoga de la dévotion) et Jnana Yoga (yoga de la connaissance de soi). Cette voie du yoga regroupait précisément mes 2 piliers : le travail sur soi et la spiritualité. J’y appris que l’éveil spirituel n’arriverait pas par l’accumulation de connaissances…quel soulagement ! Je pouvais arrêter cette lutte effrénée de me cultiver toujours plus. J’y appris aussi que ce pouvait même être un frein à l’évolution spirituelle. Et cela résonna en moi. Je peux dire qu’au fond de moi, je le savais. Non, ça n’est pas exactement ça. Je m’autorise pour la 1ère fois à  utiliser ce mot : mon « âme » le savait. Mais mon ego avait besoin de se réparer, et pour cela emprunter le chemin de la connaissance. Sur ce chemin, je « rencontrai » Ma Andamoyi. Ma Adandamoyi (1896-1982) est considérée comme la plus grande sainte du 20ème siècle sur la terre d’Inde. Elle a emmenée avec elle des milliers de personnes sur la Voie du Divin. Elle inspirait les plus grands défendeurs de la paix de ce monde, dont le Mahatma Gandhi. Ma nous apprend elle aussi que l’éveil spirituel ne passe pas par les connaissances intellectuelles : « (…) vous ne devez plus attacher autant d’importance à votre intelligence et votre faculté de raisonnement » (10). Et nous guide : » Trouver Dieu ne signifie que trouver son propre Soi » (11)

C’est donc cela… Chercher et trouver Dieu? L’amour inconditionnel, c’est donc Dieu? Je peux donc associer au mot « Dieu » cette douceur incommensurable que j’ai pu goûter lors d’une longue méditation, cette énergie qui émergea de ma pure conscience pour m’envelopper entièrement d’amour « Alors surgit cet état de conscience et de plénitude dans la mesure où vous êtes totalement désintéressé y compris dans les états de méditation les plus élevés » (12) Il s’agit donc de « trouver son propre Soi.  » En Soi. C’est donc cela, quand on dit que Dieu est
Amour, et Dieu est en Soi. Je n’imaginais pas, sur le quai de cette gare marseillaise, du haut de mes 20 ans, athée au plus haut point, que cet instant de grâce était la présence de Dieu en moi. Et si ce mot « Dieu » vous dérange, remplacez-le je vous prie, par un mot qui vous convient ! La Source, la Vie, l’Univers, le Tout..
Mais il m’aura fallu passer d’une théorie à l’autre, d’expérience en expérience, pour atteindre ce lieu, où je contacte cette paix et ce silence infinis d’où jaillissent la joie et l’Amour…C’est donc cela que je cherchais. Ce lieu, en moi, (en chacun de nous !) qui parfois s’ouvre parfois ne s’ouvre pas.

La Grâce advient ! Elle ne se décide pas…. La seule chose que je puisse faire, et c’est cela que j’ai compris après tout ce long chemin, c’est m’offrir les conditions pour qu’Elle descende. Vivre l’instant présent dans chaque expérience, m’ouvrir au Souffle. Et faire confiance. « La pratique du yoga repose sur un trépied où chacun des éléments doit être développé conjointement aux deux autres. Il faut que vous puissiez à la fois agir, comprendre et faire confiance. » (13)

Dieu, l’Amour. Le vivre et le transmettre. Et le chemin continue…

« Il s’agit donc de transmettre la Présence, et les Dieux se rient de nos théories »…(14) – Christiane Singer

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 1 Hari om tat sat : mantra sanskrit qui nous enseigne, »tout est juste »
2 Cf Chroniques d’une chercheuse ardente : « Introduction » – L’Ecole Nouvelle Vivre en Yoga (ecole-nouvelle-yoga.fr)
3 Un battement est un mouvement en danse où l’on « jette » une jambe devant, sur le côté ou derrière
4 Je participai pendant 5 ans au groupe de thérapie guidé par Dominick Reinecke « Gestalt et médias créateurs »
5 Aux sources de la joie, Ma Anandamoyi, Espaces libres, 1943
6 Bhagava Gita – 5.12
7 Allusion au titre Mais où cours-tu, ne sais donc tu pas que le Ciel est en toi? de Christiane Singer 
8 La paix toujours présente, Arnaud Desjardin, 
9 La théorie paradoxale du changement, Arnold Beisser, 1970, paru aux éditions l’Exprimerie
10 Aux sources de la joie, Ma Anandamoyi, Espaces libres, 1943
11 L’enseignement de Ma Anandamoyi, de Ma Anandamoyi, 1988
12 Yoga Sutra de Patanjali 4.29 https://www.idyt.com/les-yoga-sutras/
13 Yoga Sutra de Patanjali 2.1
14 Christiane Singer : https://youtu.be/KblNMwREw5E?si=HBxIIPPN5IU__clN